Tournesols

Tournesols

samedi 15 décembre 2007

Labos pas bô ?

Des collègues me font souvent la réflexion : « Ah ! Toi, tu es contre les labos ! ». Ce qui a le don de m'énerver positivement. Je n'ai rien contre "les labos". Ils sont nécessaires pour fabriquer des médicaments qui vont soigner mes patients. Par contre, je ne comprends pas mes collègues qui semblent croire que les firmes pharmaceutiques font des médicaments pour le bien de l'humanité, pour que les gens vivent plus vieux et en meilleure santé. C'est un peu comme si les mamans croyaient que Mattel® fait des poupées Barbies pour éduquer les enfants.

Les firmes pharmaceutiques font des médicaments pour les vendre. C'est tout. C'est leur but et leur raison d'exister. Et ils emploient tous les moyens (et ils en ont beaucoup) pour le faire. Ils ont réussi au fil des décennies à créer une dépendance de la part des médecins. Dès les premières années de médecine, les étudiants sont sollicités. Ils prennent l'habitude de recevoir des collations, des livres. Et ils prennent l'habitude d'aller demander "aux labos" quand ils ont besoin d'organiser une fête ou une thèse.

Il n'y a même plus besoin d'offrir des congrès aux Seychelles, l'habitude est prise. D'ailleurs, sous des prétextes éthiques, ils ont largement diminué leurs cadeaux divers : moins de voyages, plus d'échantillons, moins de gadgets couteux, moins d'achats de prescriptions déguisés en "études cliniques". Ils savent que la "reconnaissance" du médecin n'est pas proportionnelle à l'importance du cadeau. Au contraire, quand vous achetez franchement quelqu'un, il vous en donne pour votre argent, mais pas plus. Un petit cadeau crée un lien plus solide et le médecin n'a pas l'impression de pouvoir être influencé en recevant un stylo ou des post-its.

Bon, maintenant je pars en vacances jusqu'à Noël. En attendant, je vous recommande quelques lectures pour comprendre et aller plus loin :
Petit Traité de Manipulation à l'intention des honnêtes gens : un grand classique
150 petites expériences de psychologie pour mieux comprendre nos semblables
Patients si vous saviez ! : la journée d'un médecin généraliste
La constance du jardinier : un roman qui est malheureusement plus vrai que vrai.

Bonne fêtes à tous !

mercredi 12 décembre 2007

Gardasil lou arnaque !

Le vaccin contre le cancer ! C'était beau ! Quel slogan ! Mais qu'y-a-t-il derrière le slogan ?
Beaucoup de vent ! Avant le col de l'utérus, il a du mal à passer les cols des Pyrénées.
Encore le Formindep

Les cotisations par chèque sont acceptées !

lundi 10 décembre 2007

Le Canada contre l'Avandia

Les Canadiens commencent à réagir au scandale Avandia. D'habitude les instances françaises mettent deux ans avant de prendre ce genre de décision (qui me semble insuffisante).

Cette histoire me touche particulièrement. En effet, nous ne donnons pas des médicaments aux diabétiques pour faire baisser leur "sucre" dans le sang, mais pour éviter les complications du diabète et en particulier les complications cardiovasculaires. Comment expliquer à un patient que le médicament provoquait ce que l'on voulait éviter ? Comment lui expliquer que les études ne sont JAMAIS faites correctement pour des raisons financières ?

dimanche 9 décembre 2007

L'œil rouge du malheur

J’ai connu Firmin Lestrampe quand il était pompier. C’est un petit homme discret qui ne parle pas beaucoup. Effacé, timide, ou peut-être n’ayant pas grand-chose à dire. Il a l’air d’approuver ce que vous dites, ce qui le rend sympathique. Depuis sa retraite, il fait du bénévolat à la Croix Rouge et chante dans une chorale. Quand il arrive ce jour-là dans mon cabinet, il a un œil rouge. Il n’a pas très mal, mais il n’y voit pas bien et je l'envoie rapidement chez un ophtalmologiste.

Quelques jours plus tard, le radiologue m’appelle. Quand il appelle, le radiologue, ce n’est jamais bon signe. C’est qu’il a trouvé un truc compliqué ou grave. Mais ce n’est jamais pour me dire que tout va bien.
- Je viens de voir M. Lestrampe pour une radio des poumons. Il y a un magnifique « lâcher de ballons ».
Le langage médical est souvent poétique et imagé. En dehors d’expressions absconses et plus ou moins latines, nous avons aussi une foultitude d'« urines porto », de « crépitants neigeux des bases », de « foie marronné ». Le « lâcher de ballons », ce n’est pas bon ! Le radiologue a vu dans les poumons des "taches" rondes dispersées dans tout le poumon… des métastases.

Quand M. Lestrampe revient me voir avec sa radio, je ne sais pas trop par quel bout le prendre. Il est là, l’air confiant, toujours avec son œil rouge, attendant que je lui dise que faire. L’ophtalmo lui a aussi fait faire une prise de sang en plus de la radio.

- Pour l’œil, ça va mieux ! Je dois aller revoir l'« oculiste » à la fin de la semaine.
- Non, je ne suis pas fatigué. J’ai fait mon tour du lac ce matin, comme d’habitude.
- Non, je ne crois pas avoir maigri. Tout va bien.

Le médecin, lui, ne se sent pas très bien. Dans les films américains, le docteur prend un air compatissant derrière sa blouse blanche et balance : « Vous êtes gravement malade. Vous en avez pour six mois. Au revoir Monsieur ! » Le docteur d’ici, il dit : « Il y a une image bizarre à la radio, il faut que je vous envoie faire un scanner. C’est peut-être grave. Il faut voir ».

Le scanner n’est pas bon non plus. Sa plèvre, l’enveloppe qui entoure ses poumons, est farcie de nodules. C’est à ce moment que j’apprends qu’il a travaillé avec de l’amiante pendant des années. Bon là, au moins c’est simple. Il n’y a aucun traitement. Comme dirait Germaine qui a des proverbes venus d’ailleurs : « Quand il y a du malheur, ne comptez pas sur le beurre ! »

Et M. Lestrampe qui n’a toujours pas l’air de réaliser qu’il est malade, qu’il est mourant.

J’ai une discussion surréaliste avec sa femme que je ne connais pas et qui me téléphone pour me demander, si ça va durer longtemps tous ces allers-retours, qu’il n’y a personne pour le conduire, alors il prend un taxi et ça coûte cher et que son œil, il ne va pas mieux. Impossible d’en placer une.

Quelques jours plus tard, le pneumologue m’appelle (c’est pas bon signe non plus) pour me dire qu’il est allé voir la plèvre, qu’il y a des nodules partout et qu’il a fait un prélèvement pour connaître la nature du mal. En attendant les résultats, je revois M. Lestrampe qui a l’air vaguement inquiet et fataliste, mais sans plus. J’ai demandé le « cent pour cent » à la Sécu en urgence pour qu’il puisse se faire rembourser les taxis. Le médecin-conseil lui a accordé sans problème quand il a eu le résultat des radios et du scanner. Il est content. En discutant, j’apprends qu’il a deux enfants, mais « qu’ils ne se parlent plus ».

C’est dingue, je m’aperçois que je ne connaissais rien de sa vie. En dehors du chant et des pompiers, il ne m’avait jamais parlé de rien. Il me regarde, avec son œil rouge, et ne semble pas concerné par ce qui lui arrive. Pas curieux.
Je croyais le connaître. Ce que je prenais pour une écoute attentive et approbative n’était que passivité et indifférence. En fait, il ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe et il se laisse porter par la vie. Il ne me laisse toujours aucun moyen de lui faire passer le message qu’il a certainement quelque chose de grave. Alors, j’attends !

Quelle surprise en lisant les résultats des prélèvements ! Ce sont des lésions bénignes ! Ce n’est pas un cancer. Ça avait l’aspect du cancer, le goût du cancer, mais ce n’étaient rien que des nodules fibreux. J’avais envie de sauter de joie, de chanter.

M. Lestrampe a pris l’annonce avec détachement. « Ce qui doit arriver, doit arriver ! »

Son œil est resté rouge quelques semaines encore et tout est rentré dans l’ordre.

dimanche 2 décembre 2007

Avandia, un nouveau Vioxx !!

Encore une triste histoire d'un médicament mal étudié, dangereux et ne servant pas à grand chose. Il n'y a plus grand monde en face des labos, si ce n'est des petits groupes de médecins et d'usagers bien limités. 83000 crises cardiaques ! Combien de drames, de morts ?
Soutenez le FORMINDEP dans son combat !

samedi 24 novembre 2007

Trop lourd

Germaine vit à la maison de retraite depuis quelques années. Elle n’a pas beaucoup d’argent et "les sous" sont vraiment un problème. Sa famille n’est pas très présente, sauf pour râler quand il faut payer quelque chose. C’est une vieille dame attachante qui ne se plaint jamais. Mais elle devient "trop lourde".

Il faut dire qu’elle cumule les handicaps. Elle pèse plus de 100 kg et a une peau qui a la fragilité d’un papier vieilli par le temps et le soleil. Ses jambes et ses fesses sont couvertes de pansements pour soigner les bobos en cours et essayer de prévenir les bobos à venir. Il faut au moins deux personnes, plus d’une heure le matin et le soir pour lui faire les soins. Trop pour une simple maison de retraite.

Depuis quelques jours elle se plaint d’une jambe. Il n’y a pas eu de chute, pas eu de choc particulier, mais elle ne peut plus s’appuyer dessus et souffre en la bougeant. La radiographie montre une fracture du col du fémur. La tuile !

Sa fille vivant près de la grande ville, nous l’envoyons aux Urgences du CHU (50 km), plutôt que dans notre hôpital départemental (40 km). Les Urgences n’en ont pas voulu ; pas de place, pas le bon département. Ils l’ont renvoyée, dans son ambulance, avec sa fracture, faire 80 km pour rejoindre les urgences de l’hôpital général.

Elle devait être trop lourde.

Maintenant, elle est opérée. La rééducation risque d’être difficile. Ses quelques forces perdues, elle va être encore plus dépendante. L’équipe a décidé qu’il était impossible qu’elle revienne à la maison de retraite. Les filles n’en peuvent plus, finissent les toilettes du matin à midi, midi et demi. Le départ de Germaine va leur permettre de proposer d’avantage de douches et de bains aux autres résidents. De préparer le service du repas de midi avec plus de sérénité.

Mais Germaine, elle, ne voulait pas partir de sa chambre. Elle y avait ses petites habitudes et s’était attachée aux filles qui venaient s’en occuper tous les matins. Il va falloir lui trouver une place dans un établissement qui ne la trouve pas trop lourde, pour un prix qui ne soit pas trop lourd.

Parfois, ce métier me pèse !

vendredi 23 novembre 2007

Maladies pour rire

Le métier de médecin se rapproche souvent de celui d'enquêteur de police. Il me semble que beaucoup de médecins feraient de bons détectives. Nous avons l'habitude de recueillir des indices, d'interroger les gens et de faire de brillantes déductions avec tout ça. La conclusion de l'"enquête" est parfois surprenante.

Garde du Dimanche. Appel à la campagne pour un homme qui s'est fait "piquer par quelque chose" au pied et qui a une douleur qui lui "remonte jusque dans les reins". Ce jeune homme d'une trentaine d'années marchait tranquillement dans l'herbe haute. Soudain, une douleur fulgurante lui traverse la cheville. Dans l'herbe, il ne peut voir le coupable mais pense que ce peut être un serpent… peut-être une vipère !!
La cheville est à peine douloureuse, il y a bien une trace de piqure, mais pas de gonflement, pas les rougeurs et chaleurs magnifiques que peut donner une morsure de vipère. Mais alors, pourquoi la douleur remonte-t-elle "jusque dans les reins" ? Je lui fait raconter l'histoire à nouveau et là, il me dit qu'il a eu tellement peur après la "morsure" qu'il a sauté par-dessus la clôture. Diagnostic final : piqure de puce et déchirure musculaire.

Hier après-midi, je passe voir mes patients hospitalisés à l'hôpital local. L'infirmière me signale, inquiète, que M. Bagi a une main qui devient bleue. Ce ne serait pas étonnant chez cet homme qui déjà eu des problèmes vasculaires et a le cerveau tout mité par des petites "attaques". Ce qui ne l'empêche pas d'être tout à fait lucide et anxieux.

Bizarrement, la main est chaude et n'est pas douloureuse et le pouls est bien perçu. Le patient me confirme que ce matin, les doigts étaient tout bleus. En regardant attentivement la main, je m'aperçois alors que le bleu vient… de son pyjama tout neuf qui déteint allègrement. J'ai eu beaucoup de mal à en convaincre M. Bagi qui pensait bien qu'il allait perdre son bras.

Il était schtroumpfement inquiet !

mercredi 14 novembre 2007

Hôtel de la lune oisive

Il y avait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’aussi bien. L’art de la nouvelle dans toute sa subtilité. Comment William Trevor fait-il pour créer un univers en quelques pages ? Comment peut-il percevoir avec tant d’acuité notre humanité avec ses qualités et ses défauts ?

Et pour aller rire un bon coup, allez voir Joyeuses Funérailles. Mais en VO seulement. Ce doit être beaucoup moins drôle sans l’accent british. L’histoire de funérailles catastrophiques, une machine à gags bien huilée qui vous entraîne irrésistiblement.

jeudi 8 novembre 2007

Stagiaire d'aujourd'hui

Ma première stagiaire ! Une interne en médecine générale qui finit ses études (9e année) vient me faire mes consultations un matin par semaine. Elle a déjà fait des stages avec des généralistes, travaillé comme interne dans divers services. Et là elle va passer six demi-journées par semaine chez six médecins différents pour bien s’imprégner de ce qui l’attend.

J’assiste à ses premières consultations pour pouvoir la secourir au niveau de l’informatique. Mais je ne participe pas. Enfin presque ! Rien que le fait d’être là change la relation entre le patient, l’interne et le médecin traitant.

Comme c’est bizarre d’assister à une consultation "de l’extérieur", de regarder sans rien dire. J’avais parfois envie de souffler les questions, les réponses, d’aller plus vite, de préciser. Mais bon, dure leçon d’humilité, une "débutante" arrive aussi bien que moi à se dépatouiller des approximations, des syndromes bizarres et des petits bobos. Au bout de quelques consultations, je me sentais vraiment de trop et je suis parti.

En traversant la salle d’attente, j’ai eu droit aux questions des patients qui y poireautaient. "Vous partez, Docteur !" Du genre, "vous m’abandonnez !" ou carrément "Je peux lui faire confiance ?". J’ai rassuré tout le monde et je suis parti. Sans souci.

À midi, nous nous sommes retrouvés pour faire le point. Elle a trouvé mes patients sympas (elle est gentille en plus).

Que c’est bon de voir des yeux qui brillent en parlant de médecine générale !

vendredi 2 novembre 2007

Trancher dans le vif

Il y a des jours comme ça. Des jours où il semble que chaque décision que vous prenez pèse une tonne, que vous passez votre temps à balancer entre le pire et le terrible. Vous finissez la journée épuisé, et vous n’avez "rien" fait. Seulement trois petites visites, trois petits actes insignifiants dans la marée des actes médicaux journaliers.

Monsieur Juan est espagnol. Une "attaque" n’a pas arrangé sa compréhension et sa prononciation du français. Je ne le connais pas depuis longtemps et vu le problème de communication avec son aphasie compliquée d’accent ibérique, ça ne va pas s’arranger. Il est paralysé dans son lit, hémiplégique. Il a des escarres qui "flambent" en ce moment. C’est sa "bonne" jambe qui lui fait mal. Le pied est bleuté, un peu froid… Ça sent mauvais, au propre, comme au figuré. Le spécialiste qui a examiné le monsieur m’appelle : « Si son état général le permet, il faudrait lui faire une artériographie, puis si le réseau des artères est assez bon, une angioplastie ou un pontage. »
La fille ne comprend pas grand-chose. Elle demande s’il est possible qu’il soit opéré dans notre hôpital local (il n’y a même pas une radio). La mère demande simplement qu’il mange bien, mais pas trop, à cause du diabète. Le monsieur, lui, ne comprend pas ce qui se passe ; ce n’est pas un bon jour.
Si nous laissons faire, le pied va pourrir peu à peu, l’intervention ne servira peut-être à rien, vu que son état général n’est pas bon. Mais son état général n’est peut-être pas bon à cause du pied qui se nécrose. J’essaye d’expliquer tout ça au téléphone à la fille, puis à la mère. La décision, c’est pour lundi.

Monsieur Marcel a lui aussi un pied en piteux état. Lui, c’est un microbe qui est entré par une plaie et qui s’est niché dans l’os tel le renard dans son terrier. Les antibiotiques en perfusion l’empêchent de sortir, mais dès que le traitement est interrompu, l’infection reprend de plus belle. La solution "raisonnable" est de couper le pied… Nous le savons, lui et moi, mais bon, c’est dur !
Alors nous continuons les perfusions. Quand il n’aura plus de veines pour planter les aiguilles, j’essaierai autre chose. Et quand il n’y aura plus "autre chose"…

Mme Rina a 98 ans. Elle est sourde, vraiment sourde, mais a "toute sa tête". Mince, active et malicieuse, elle me regarde toujours avec des yeux admiratifs et confiants. Elle revient de chez le néphrologue pour ses reins qui ne fonctionnent plus. Il propose une hémodialyse. Voici la recette : tout d’abord prendre un bras, bien disséquer l’artère et la brancher sur une veine. Laisser mijoter deux mois, puis amener la dame à l’hôpital, lui brancher "la dialyse" pendant quatre heures et la ramener chez elle, trois fois par semaine. Épuisant !

L’autre solution : laisser la dame chez elle. Les taux de potassium et d’urée vont monter peu à peu et elle va mourir.
La famille était là, nous avons choisi. Elle restera chez elle, comme elle le veut.

Et un jour elle fermera ses yeux trop confiants.

mardi 30 octobre 2007

Un homme honnête

Ça fait du bien !

Réflexions sans réflexion

De temps en temps, je me lâche. En général, c’est chez moi un signe de fatigue. Dans ce cas, je dis ce que je pense et parfois, il serait préférable que je me taise.

- Allô, Docteur ? Pourriez-vous s’il vous plaît, remettre votre visite chez ma mère à un autre jour ? Je dois aller chez le vétérinaire.
- Pourquoi ? Vous êtes malade ?

Et là, je vous jure, un grand moment de solitude ! Puis vous entendez les rires au bout du fil. Ouf !

- Docteur, est-ce que vous pouvez venir me voir cet après-midi ?
- Pas de problème, je passerai dans l’après-midi.
- Mais pas avant 4 heures, j’ai le coiffeur et puis le soir je vais chez ma fille.
- Votre pizza, vous la voulez avec des olives vertes ou des olives noires ?

Bon, elle n’a pas compris. Maintenant, elle vient au cabinet en allant chez le coiffeur.

Bip pompier. Chute sur la voie publique. Traumatisme du genou.
Quand j’arrive la dame est déjà dans l’ambulance des pompiers. Je découvre le genou. Rien de visible. Je le palpe, je le plie, le déplie, fais des ronds avec la jambe. Rien ! Pas de douleur !
- Dites-moi, vous avez essayé de marcher après votre chute.
- Oh non Docteur ! Mon ami m’a dit : "Ne bouge pas, j’appelle les pompiers !"
- Lève toi et marche lui dis-je.
Elle s’est levée et elle a marché.

J’aime faire des miracles.

mardi 23 octobre 2007

Médecin pompé

Depuis 16 ans, je suis médecin pompier. Volontaire. Autrement dit, quand je me suis installé, mon prédécesseur était médecin pompier et j’ai poursuivi le sacerdoce.

Nous avons un joli bip qui fait un bruit atroce quand il se déchaîne, nous sommes "indemnisés" quelques euros de l’heure d’intervention, nous avons droit à l’uniforme (sur mesure), que j’ai mis deux fois. Et surtout, nous sommes corvéables à merci. Ah, j’oubliais, nous sommes aussi sur la photo du calendrier.

Notre fonction semble indispensable dans un village situé à plus de 35 kilomètres du premier hôpital, mais j’aimerais simplement ne pas être dérangé pour rien. Ce qui semble trop demander.

Garde de ce week-end. Samedi, il est 20 heures, je viens de rentrer d’une journée de boulot, je vais me mettre à table, le bip sonne. Il y a une maison qui brûle dans le village et il y aurait un blessé "au genou", "incommodé par la fumée". On n’y va !

À l’arrivée, un homme charmant qui se demandait bien pourquoi on m’avait dérangé et qui s’était blessé en marchant sur une pomme, la veille au soir. Ça ne s’invente pas !

Dimanche matin, il est 8 heures, le bip sonne. Un "malaise" dans une voiture. Là, je sais déjà que c’est une connerie avant de partir. À tous les coup, c’est quelqu’un de "fatigué" qui rentrait de boîte et qui s’est arrêté au bord de la route pour piquer un roupillon. Un passant a vu le mec dans la voiture et sans aller voir a prévenu les pompiers avec son téléphone portable (un grand classique). J’y vais tout de même, puisqu’ils ne feront rien sans mon avis de toute façon. En cours de route, je croise un pompier qui me dit de passer tout d’abord à la caserne. Bien m’en a pris. D’abord le café était bon, et ensuite, notre "malaise" s’était barré avant notre arrivée.

Hier matin. Le lycée m’appelle. Un des élèves s’est pris le pouce dans l’engrenage d’une bétonnière. Ils me l’amènent au cabinet. Le pouce est un peu "destroyed" avec un ongle qui a des vues d’indépendance. Je calme le garçon avec un peu de morphine et je cherche une ambulance ou un taxi pour l’amener aux urgences pour faire les radios et rafistoler le morceau.

Impossible d’en trouver, elles sont toutes sur les routes de la région. J’appelle donc le 15 pour qu’ils me trouvent un moyen de transport. Y’en n’avait pas, alors ils ont "déclenché" les pompiers. Vous imaginez ! Un camion ambulance et trois types super-formés au secourisme pour accompagner un mec qui avait un pansement sur le pouce. Gabegie ?

C’est vous qui paye !!

mardi 16 octobre 2007

Arizona Dream



Ah ! Que c’était beau ! Que c’est grand, immense et infini ! Les Américains disent "huge". Il faut prononcer "ioudje" avec quelques frites ou un bol de crème chantilly dans la bouche pour l’accent.

Là-bas, tout est "ioudje" ; les bagnoles, les routes, les hôtels (à Las Vegas c’est même totalement "ioudje"), les paysages, les cookies (25 cm de diamètre avec toutes sortes de noisettes, chocolats, caramels, etc.). Mais c’est surtout un long défilé de paysages sublimes.

4 000 km en moto dans un fauteuil de cinéma à regarder défiler le décor. D’autres photos par ici

Ce qui est dur quand vous fréquentez une autre civilisation, même si vous parlez le dialecte, c’est la foultitude de petites habitudes différentes qui vous compliquent la vie. Premier sandwich : selon les conseils éclairés du Guide du Routard je vais le choisir dans un établissement "qui va bien". La liste des sandwichs est impressionnante avec divers ingrédients aux noms pas toujours explicites. Bon, je me lance et je choisis "celui-là". Le monsieur me regarde et me pose une question du genre "watbreddoyououant" avec le plein tube de chantilly dans la bouche et sans ouvrir les lèvres. J’ai fini par comprendre qu’il fallait que je choisisse le pain (il y en avait cinq différents du pain français au pain pita mexicain, en passant par plusieurs pains de mie). Nouvelle question de mon vendeur "yououantnionetuceomato". Grand silence dans mon cerveau personnel au traducteur défectueux. "I don’t understand" j’avoue. Alors il me montre une vitrine avec des tomates, de la salade, des oignons, etc. à mettre en plus dans mon pain. L’épreuve suivante et balbutiante concernait la sauce "ouatsos ?". J’ai pris "vinaigrette". Puis il me demande "Pickles ?". Alors là, j’ai compris du premier coup et j’ai dit "Yesss" avec un grand sourire.

Bon, ça ne valait pas un jambon beurre !

mardi 25 septembre 2007

Vacances

Et hop ! Je pars en vacances. Un rêve de gosse, je pars rejoindre ma fille dans le Colorado. J'ai loué une moto qui est sensée m'attendre là-bas et à moi les indiens, les cowboys, les canyons, les diligences.

Youpee !!

samedi 22 septembre 2007

Mémoire d'une âme

« Docteur, avec l'âge, je perds la mémoire ! » Après quelques tests, l'évidence est là. « En effet, vous avez quelques problèmes, vous avez une maladie de la mémoire. » C'est plus facile à dire et à accepter que "maladie d'Alzheimer".
« Vous me rassurez docteur, vous savez comme j'ai peur de perdre la tête. Parfois, j'ai l'impression de décibouler. »

Il est toujours terrible de s'apercevoir qu'une personne que l'on connaît depuis plus de dix ans souffre de cette terrible maladie. Elle va peu à peu oublier ce que je lui dis, puis oublier mon nom, puis oublier ce que je suis et sombrer lentement dans le crépuscule de la démence. Tous les merveilleux médicaments hors de prix que nous utilisons depuis dix ans n'ont pas changé grand-chose. L'histoire se finit toujours mal.

Madame J. lit le journal, toujours le même journal. Nous le changeons quand il tombe en ruines. Elle rit, elle commente les nouvelles, elle raconte à ses voisines.

Madame C. se promène… jour et nuit. « Je suis perdue, je suis perdue ! ». Elle suit parfois M. G pensant que lui, avec son air décidé et sa démarche chaloupée sait où il va. Et ils tournent en rond toute la journée ne s'arrêtant que pour dormir, épuisés. Nous profitons des passages près de l'office pour les ravitailler en vol : bananes, gâteaux, fromage.

Monsieur F. est depuis quelques années dans l'établissement. Il y a bien longtemps qu'il ne sait plus ce qu'il fait ici, ni ce qu'il a fait il y a cinq minutes. Il ne sait plus s'habiller seul, mais marche encore obstinément. Quand nous lui avons annoncé le décès de son frère, il n'a pas vraiment réagi. Mais une semaine plus tard, il aborde l'infirmière : « Tu sais, il m'arrive un truc terrible. Paul est mort ! »

Le cerveau est malade, mais le cœur commande encore souvent.

mardi 18 septembre 2007

Saletés de métier

Ma fille en revenant d'un stage chez le kiné : « Oh ! Je ne ferais pas ce métier là, les gens sont trop crades ! »

C'est vrai, l'hygiène n'est pas le point fort d'une bonne partie de la population. Je me rappelle mon dégoût lors des premiers contacts avec les patients. Aux urgences, les gens arrivent "dans leur jus". Ils n'ont pas eu le temps de sauvegarder les apparences en faisant un brin de toilette. Et là ! Surprises !

Le beau mec qui défile sur le boulevard avec son cabriolet vermillon sent le homard pas frais et porte des chaussettes dont ne voudrait pas un chiffonnier enrhumé. Cette belle jeune fille bien maquillée garde la trace (en noir) de son soutien gorge au niveau des épaules. Quand au beau monsieur en costume, nous avons été obligé de faire une fouille quasi archéologique de son nombril retirant une espèce de bourre et comme de la réglisse lors de la préparation pour le bloc opératoire.

Plus tard, lors de mes remplacements, je suis entré chez des gens qui avaient les géraniums tout l'hiver dans la baignoire de l'appartement. Dans les salles de bain, il n'y a parfois qu'une brosse à dents pour toute la famille et elle a l'air bien poussiéreuse.

Il est parfois très difficile d'examiner quelqu'un qui sent particulièrement fort. Mes capacités pour retenir ma respiration sont assez limitées et l'examen prend en général plus de trente secondes. Quand vous passez le stéthoscope dans le dos et que votre nez se trouve en face de l'ouverture du tricot, vous prenez tout à coup des effluves d'urines vieillie, de sueur aigre et de divers parfums non répertoriés chez Dior ou Armani. Ce n'est pas le moment de penser à votre petit-déjeuner !

Vous comprendrez aisément pourquoi les médecins aiment recevoir des visiteurs ou visiteuses médicales, bien pomponnés et qui sentent bon, même s'il est rare de mettre notre nez dans leur décolleté ou derrière leur cravate.

vendredi 14 septembre 2007

Q.I. cuit ?

Aujourd'hui, j'ai peiné. Mes consultations ont été assez laborieuses. Il y a des jours comme ça où vous n'avancez pas ! Le public n'est pas bon ou le docteur est fatigué. Ce matin, c'était peut-être le public qui n'était pas bon. En tout cas, pas réceptif à mes explications.

Le monde semble de plus en plus complexe. Pour certains de mes patients, il semble beaucoup trop complexe. Ce jeune patient doit rentrer dans un centre d'apprentissage pour handicapé. Il reçoit des papiers de la sécu et m'appelle, à midi, pour que je passe chez lui d'urgence. Il lui faut un tampon. En fait, je sais que ces papiers n'ont rien à voir avec son admission, mais je n'arrive pas à le rassurer. Alors il vient. Et je lui reexplique qu'il faut qu'il revienne le lendemain car il y a besoin d'une consultation longue que je n'ai pas le temps de faire maintenant. Il avait simplement reçu le compte rendu de son examen de santé.

« Vous ne l'avez pas en ampoule ? » Pour cette grosse femme d'une cinquantaine d'années, la vie n'a pas toujours été tendre. Elle boit un peu, a des enfants dont elle ne sait pas grand-chose depuis que la DDASS les lui a retirés.
Non, ça n'existe pas en ampoule, il n'y a presque plus d'ampoules : trop cher à produire, trop ringard.
Son copain intervient : « C'est que, les remèdes, elle les croque ! »
Depuis toujours, elle croque tout : comprimés, gélules. Ce n'est pas sans risque et j'essaye de lui expliquer. Elle me regarde avec ses grands yeux bleus étonnés. Personne n'avait jamais pensé à lui dire !

Cette dame de 70 ans se courbe lentement mais sûrement. Elle est obligée de lever les yeux pour me regarder. La tête redressée comme un ver qui sort d'une pomme, elle a un peu de fièvre depuis quelques jours. C'est la troisième fois qu'elle consulte pour ça en cinq jours. Son mari a la même chose, son nez coule, c'est certainement une virose. Mais voilà, dans son monde, fièvre égale antibiotiques. Et son mari de surenchérir : « Elle est sujette aux bronchites ». En fait, elle en a fait deux qui ont nécessité des antibiotiques. Alors depuis, dès qu'elle est enrhumée, elle demande ses antibiotiques qu'elle finit par obtenir. Alors pour elle (et son mari) c'est une bronchite. La thérapeutique crée la maladie ! Pourvu qu'elle n'ait pas un effet secondaire avec l'antibiotique, je m'en voudrais longtemps.

Les adolescentes boudeuses et condescendantes sont parfois étonnantes. Le cerveau semble parfois avoir grillé avec le portable. Pour celle-ci qui a mal au ventre et de la diarrhée, impossible de lui faire préciser le nombre de fois qu'elle va à la selle en temps normal. Elle ne sait que hausser les épaules et faire "Pfft" dans un petit soupir étonné. J'ai reformulé : "aller faire caca", "aller chier". Sa mère s'y est mise. Impossible.

Je vous le dis : chiants ils étaient ce matin !

lundi 10 septembre 2007

Un tonneau bien plein

« Ta-Ti-Ta-Ti… BRR-BRR…Ta-Ti-Ta-Ti……PIIP-PIIP »
C'est à peu près le bruit du bip des pompiers. Réveil garanti en sursaut. Le cœur bat la chamade. Le lever est brutal, rapide, en jurant tout bas : « Merde, merde, métier à la con ! ». Vous essayez de trouver le bouton pour couper le klaxon qui a réveillé toute la maison. Vous regardez l'heure : 04:47 … L'heure terrible. Vous n'avez pas assez dormi, mais vous savez que votre nuit est finie.
Le cœur se calme un peu. Vous essayez d'enfiler votre pantalon en téléphonant à la caserne pour savoir ce qui vous attend. Des images de voitures pulvérisées et fumantes, de cervelle sur les murs, de jeune pleurant coincé dans leur voiture, de motards fracassés dans un fossé vous passent par la tête. Souvenirs, souvenirs !

Bon ! La caserne ne répond pas, je fais le 18. La permanencière me dit qu'il s'agit d'un AVP avec une VL et un blessé incarcéré mais conscient. Ce qui veut dire un Accident de la Voie Publique avec un Véhicule Léger (une voiture quoi !) et quelqu'un coincé dans la voiture.

J'enfile pull et veste (il fait froid au bord d'une route, la nuit en attendant que les pompiers désossent une voiture), prend mon sac au passage et grimpe dans la voiture. Quelques minutes plus tard, je suis sur les lieux. Une vieille Clio avec un A tout neuf est sur le flanc au milieu de la route. Pas trop esquintée. Il y a du plastique et du verre partout, la bagnole est foutue, mais bon, ça n'a pas l'air trop violent. C'est vite éparpillé, une voiture.

Les accidents ont une odeur : odeur de l'huile brûlée, de l'essence, du moteur chaud et parfois du sang. Celui là ne "sent pas" grave.

Un pompier me dit que la victime est consciente et a simplement mal au dos. Un autre pompier est entré en brisant la lunette arrière et se trouve maintenant à l'avant avec la victime (c'est comme ça qu'on dit : "la victime"). J'y vais moi aussi. Une odeur de bière me surprend dans ma reptation. La jeune fille est en pleurs, mais semble intacte. Je lui pose quelques questions et l'autorise à sortir par ses propres moyens avec le pompier (par la lunette arrière).

Les filles bourrées ont des réactions bien différentes des mecs bourrés lors d'un accident. Les mecs bourrés sont souvent agressifs accusant la voiture, les flics, les platanes et nous reprochant presque d'être là ! Les filles pleurent beaucoup, répondent aux questions en pleurant, et pleurent encore quand on les examine.

- C'est pas possible ! Ça n'a pas pu m'arriver à moi ! Ouin ! Ouin ! Ma voiture elle a quoi ?
- Elle est morte la voiture !
- Ouin ! Ouin ! C'est pas possible ! Ça n'a pas pu m'arriver à moi ! Ouin ! Ouin !
- Je te fais mal, là, quand j'appuie !
- Non ! Ouin ! Ouin ! Non plus ! Ouin ! Ouin !

Et encore, elle n'avait pas encore compris qu'elle était bonne pour repasser le permis qu'elle avait depuis huit mois !

Alcool au volant, voiture sur le flanc !

jeudi 6 septembre 2007

Groupe de poires

Hier soir réunion mensuelle de notre "Groupe d'analyse de pratiques" dit aussi "Groupe de pairs®". Donc après le boulot, une demi-douzaine de médecins généralistes se réunissent pour discuter de leur métier et essayer d'améliorer leurs pratiques.

Nous discutons de cas tirés au sort dans notre journée de travail, nous organisons des audits et autres évaluations. Et tout ça, bien sûr, sans aucune rémunération et même sans repas ou apéritif pharmaceutique. Indépendance, indépendance !

La discussion hier soir m'a franchement déprimé. Faire de la bonne médecine est de plus en plus difficile. Les pressions extérieures, médiatiques, commerciales, administratives semblent de plus en plus importantes. Comment résister à la demande d'un patient qui a "vu à la télé" le "grand professeur" (payé par l'industrie pharmaceutique) qui recommande tel examen ou telle thérapeutique ? Et surtout, pourquoi résister ? Nous n'avons rien à y gagner, si ce n'est la perte d'un client et une perte de temps à essayer d'expliquer notre refus à quelqu'un qui ne veut ou ne peut pas l'entendre.

Faut être maso quand même !

lundi 3 septembre 2007

Café bouillu

« Docteur, vous prendrez bien un café ! »

Il reste un peu de convivialité dans notre métier. Faisant énormément moins de visites et le plus souvent chez des gens très âgés et dépendants, les offres de café, de petit coup à boire, de gâteaux, crèpes et bonbons divers sont beaucoup moins fréquentes.

Je me rappelle, un de mes premiers remplacements, celui qui a fait que je suis devenu médecin généraliste à la campagne… Deux heures du matin après avoir soigné un œdème du poumon au fin fond de la campagne aveyronnaise, le patient va mieux,… le docteur aussi !! La solitude du médecin dans les moments d'urgence est présente, quasiment physiquement : un nuage lourd qui pèse sur les épaules, une angoisse qui aiguise l'esprit, mais serre la gorge et fait battre le cœur plus vite. Et bien sûr, il faut rester calme en apparence, et souriant même, et quand vous avez vingt-cinq ans et que vous sortez de l'hôpital où vous avez toujours un recours pas bien loin, vous avez plutôt envie de prendre vos jambes à votre cou et de vous retrouver très loin,… ailleurs…

Alors, le "petit coup à boire" est bienvenu. La dame du monsieur qui va mieux sort la gnôle du placard et m'en verse une rasade dans un verre à moutarde. C'est bon, cette chaleur qui descend puis cette insouciance qui remonte. Après, il a fallu retrouver le chemin du cabinet dans le brouillard. La vieille 203 break m'a ramené au bercail. Elle devait avoir l'habitude.

Plus redoutable est d'accepter le café. Dans certaines maisons, l'usage est de faire le café une fois par semaine. Il reste donc à décanter tranquillement dans la cafetière. Le café est servi réchauffé dans une petite casserole en alu. Le grésillement du café au fond de la casserole marque la fin de la "cuisson". Le goût de ce genre de café est indescriptible ; saveurs de goudron frais, de crâmé ancien, de charbon aromatisé à la chicorée.

Café bouillu, café foutu !

jeudi 30 août 2007

Bons baisers de partout !

Elle a 98 ans, une vivacité de jeune fille, une petite souris souriante qui pétille de malice. Mais elle est sourde. Alors pour lui parler je me penche vers sa "bonne" oreille pour lui proposer un conseil. Et au passage elle me claque un baiser sur la joue.

Elle a 86 ans. La maladie d'Alzheimer ne ternit pas encore son regard bleu, mais peut-être son jugement esthétique. « Que vous êtes beau ! » me dit-elle « Je peux vous embrasser ? »


C'est un beau métier tout de même !

mardi 28 août 2007

Reprise

Après trois semaines de vacances, le retour est souvent chaud. Beaucoup de gens s’imaginent que mon associé me parle de tout ce qu’il a vu et fait pendant mon absence. En fait, et c’est déjà pas mal, nous nous contentons de noter dans les dossiers les comptes rendus de consultation. Nous ne parlons entre nous que des faits saillants (décès, maladies graves, problèmes en cours…). Pour le patient, son changement de traitement pour la tension ou son entorse de la cheville est un évènement marquant, pas pour le médecin. Nous n’avons vraiment pas le temps de nous plonger en rentrant dans une centaine de dossiers pour en voir les modifications. Une fois de plus, l’organisation de notre métier ne nous permet pas de travail "à froid" sur les "cas". La lecture du courrier reçu (comptes rendus d’hospitalisation ou de consultations spécialisées, paperasses diverses, etc.) n’est en général possible que sur quelques jours.

À chaque rentrée, il est toujours aussi étonnant de se rendre compte de notre incapacité à prévoir l’avenir. Vous retrouvez des patients que vous pensiez mourants, votre associé n’a même pas entendu parler de celui-là pour lequel vous aviez laissé trois pages d’instructions, mais par contre le rhume de celui-ci, auquel vous n’aviez pas pensé une seconde, s’est terminé à l’hôpital.

Humilité !

samedi 25 août 2007

Fin des vacances

Il est vrai que je n’ai pas usé le hamac ces jours derniers. Il sèche entre deux averses.

J’en ai profité pour repeindre quelques pièces de la maison et surtout des portes et des fenêtres. J’en profite pour écouter des émissions de radio podcastées : excellente suite d’émissions de France Culture sur l’Afrique du Sud ou sur l’environnement.

C’est incroyable comme une peinture peut tacher et comme une petite goutte oubliée dans un coin semble avoir la possibilité de s’étaler sur plusieurs mètres carrés. Je vous passe la coulure qui vient gâcher votre beau travail tout lisse, l’insecte coquin qui se pose juste devant le pinceau et fait une belle traînée noire dans la peinture. J’ai aussi quelques pattes de chats venus dessiner des marguerites sur mes portes toutes blanches.

Le peintre quand à lui, vieilli prématurément (cheveux blancs et teint livide) va avoir besoin de s’arracher la peau pour retrouver une apparence « de Docteur ».

Heureusement, avec les peintures à l’eau, le travail est moins beau, mais le nettoyage est plus aisé.

Entre deux couches séchant, j’ai eu le temps de lire un peu :
  • « En zone frontalière » de Sherko Fatah : livre traduit de l’allemand, sur un passeur qui fait de la contrebande en Irak. C’est un bouquin d’ambiance où le seul élément immuable au milieu du chaos semble son sentier au milieu des champs de mines. Difficile de dire pourquoi, mais j’ai beaucoup aimé. C’est complètement dépaysant.
  • « Comme un roman » de Daniel Pennac : je n’avais plus rien à lire (l’horreur !), j’avais donc entamé la relecture de la Fée Carabine. C’est toujours un bonheur de se retrouver dans le monde parallèle de Pennac avec ses petits vieux héroïnomanes, ses mères indignes et son bouc émissaire. Je me suis rendu compte alors que je n’avais rien lu d’autre de lui que les « Malaussène » et que ses livres pour enfants. Notre médiathèque ne m’a proposé que cet essai sur la lecture et son apprentissage que je me suis surpris à apprécier. Comment quelque chose d’aussi merveilleux que la lecture peut-elle être transformée en purge par l’Éducation Nationale ? Et comment faire pour redonner le goût de lire que nous avons tous eu au moins en CP ? Ses remèdes me semblent un peu miraculeux pour vraiment fonctionner, mais il est autorisé de rêver un peu.
  • « Le Ventriloque Amoureux » d’Hubert Haddad : un livre étonnant mêlant texte et dessins, onirique et un peu surréaliste. Les aventures d’un fou, peut-être pas fou qui fait naufrage sur une île déserte avec un asile. Très vite lu. Moyen.

Et au cinéma, le film « 2 Days in Paris » de Julie Delpy avec Julie Delpy, réalisé, écrit, chanté par Julie Delpy. Un Woody Allen sans le génie. Un rien lourd, un peu long, il passera très bien à la télé.

La sacoche est prête, l’agenda du mois est imprimé. Retour au boulot Lundi.

dimanche 19 août 2007

La suite des vacances

Un hamac, un rayon de soleil et un bon bouquin : je n'en demande pas plus.

Au menu cette semaine :

Prof is beautiful : un livre sur les profs, écrit par un prof, leurs problèmes, leur mal d'éduquer. C'est verbeux, souvent confus, mais intéressant. Je préfère et de loin le blog du Profanonyme. Je n'ai jamais bien compris pourquoi l'Education Nationale a l'air de fonctionner en dépit du bon sens, et je vois que les pauvres profs qui subissent le système n'ont pas trop l'air de savoir pourquoi non plus. Mais il est si difficile de faire changer les gens et les habitudes !

Soleil du Crépuscule de Fang Fang : un roman chinois un peu déjanté, aucun personnage ne reste longtemps très sympatique. Une vieille grand-mère dont personne ne veut qui se suicide, mais pas tout à fait. La lâcheté quotidienne, la mesquinerie, mais avec un humour omniprésent. Pas un chef-d’œuvre, mais un bon moment de lecture.

J’ai découvert aussi les bandes dessinées de Jîro Taniguchi. Un régal. Avec Persépolis et Le Photographe mon “best of” de ces dernières années.

Le hamac étant impraticable sous la pluie, je suis allé voir The Bubble. Un film israélien qui ne peut se passer qu’en Israël ! Poignant, tendu, drôle, dramatique ! Vous ressortez un peu sonné et largement remué. Déconseillé aux homophobes !

samedi 11 août 2007

Lectures d'été

C’est bon de pourvoir lire toute la nuit sans regret ni angoisse du lendemain. De quitter son bouquin la tête à l’envers, la vision embrumée et la cervelle pleine d’images et de sentiments divers.

Au menu cette semaine :
- L’histoire de Bone par Dorothy Allison, l’histoire bien triste de la misère et de l’alcool. Des personnages bien attachants et bancals à souhait. Que du malheur ! Et pourtant que d’envies de vivre. Bien écrit et bien traduit !

- Double jeu de Yaïr Lapid : un polar avec un détective privé. Aussitôt lu, aussitôt oublié. L’action se passe en Israël, mais pourrait se situer à Vénissieux !

- Les requins de Trieste de Veti Heinichen : un avatar du commissaire Brunetti mais Trieste ne vaut pas Venise. Pourquoi les polars qui se passent en Italie sont écrits par des étrangers ? Sauf bien sûr l’inimitable Camilleri et son Montalbano.

Voir les 4 Fantastiques au cinéma avec ma fille m’a donné envie de relire quelques vieux "Strange" de ma jeunesse. Bon, et bien j’ai vieilli.

mardi 7 août 2007

Marchons


Il y a longtemps que je n'avais pas eu mal aux jambes comme ça. Mais ça valait le coup. J'aime ces balades en moyenne montagne. Il n'y a quasiment personne, les paysages sont magnifiques et verdoyants, la flore et la faune riches et colorées.
Dès que vous voulez aborder les lacs ou les lieux célèbres des Pyrénées, c'est la foule. Durant cette balade de cinq heures avec 600 mètres de dénivelé, nous n'avons pas rencontré plus dix personnes.


Mais ne le dites pas, "ils" viendraient !






samedi 4 août 2007

Les vacances

Enfin ! Après cinq semaines à plus de 60/70 heures par semaine, les vacances sont là ! Les derniers jours de consultation ont été assez bizarres. De mon côté, je me sentais quasiment parti, désirant seulement expédier les affaires courantes, par contre, les patients, eux, voulaient que je règle tous leurs problèmes avant mon départ.

C’est typique de la dyssymétrie permanente qui existe entre médecin et patients. Pour le médecin, les cas se répètent et se ressemblent, pour le malade, c’est une histoire unique et importante. Il faut toujours que je fasse attention à cette réalité pour éviter de traiter par-dessus la jambe ce que je considère être de la routine.

Je me rappelle une discussion avec des cancérologues. Des cancers, ils en "bouffaient" toute la journée, pour le médecin généraliste, ce ne sont que quelques cas par an et pour le patient, c’est SON cancer.

Là, je pars m’aérer les méninges à la montagne.

Adieu la routine et les "cas" !

vendredi 3 août 2007

On avance !

- Docteur ! La pharmacie m’a avancé une boîte. Vous pouvez me la marquer ?

Vous ne pouvez pas savoir le nombre d’heures que m’a fait perdre cette phrase qui revient régulièrement, en fin de consultation, au moment de rédiger l’ordonnance.

En France, la législation sur la délivrance des médicaments est très claire, mais très bête. Le pharmacien ne peut pas délivrer (sauf pour la pilule contraceptive) plus d’un mois de traitement par mois. Il y a quelques années une tolérance permettait d’écrire par exemple : Panacéum (boîte de 30 gélules), 1 gélule par jour, 3 boîtes. Le pharmacien délivrait trois boîtes et la sécu remboursait. Depuis une dizaine d’années, fini la tolérance : la sécu ne rembourse plus qu’une boîte.

Comme il y a des boîtes de 28, de 30, de 50, des demi-comprimés et que les gens n’ont parfois pas le temps d’aller chez le médecin pile poil avant la fin du mois, ils vont chez le pharmacien qui leur « avance » une boite de remède sans leur faire payer et leur dit : « Vous la ferez marquer par le médecin ! ». Moralité, les pharmaciens ont des ardoises incroyables de médicaments « avancés » dont ils attendent l’ordonnance pour pouvoir se les faire payer et le médecin se trouve bien embêté.

Soit, il fait une ordonnance antidatée spéciale pour « la boîte », soit il double la posologie sur l’ordonnance pour que pharmacien puisse lui récupérer sa boîte et donner le traitement pour le mois qui suit. Avec le risque que le malade prenne double dose, comme indiqué sur l’ordonnance, ce qui engage bien sûr la responsabilité du docteur. Mettre "à renouveler" sur l’ordonnance ne règle pas le problème puisque le pharmacien est normalement obligé d’attendre un mois avant de délivrer une nouvelle "mensualité" médicamenteuse.

Allez faire comprendre ça simplement ! Vous en avez pour quelques minutes qui se répètent régulièrement, trop régulièrement. Et après avoir bien expliqué, vous donnez l’ordonnance "trafiquée" au patient qui vous dit : « Ah bon, Docteur, il faut que j’en prenne plus ! » AArgh !!

Le plus simple serait que le pharmacien fasse payer la boîte qu’il avance ou que le médecin refuse ce petit jeu et que le patient ne soit pas remboursé. Mais notre système libéral clientéliste est assez cruel avec ceux qui sont trop rigoureux : vous perdez le client.

Surtout que le patient a besoin de son traitement. Je ne crois pas qu’il existe de trafic sur les antihypertenseurs, les antidiabétiques ou les médicaments contre le cholestérol. J’ai maintenant des patients qui préfèrent attendre de pouvoir aller chez le médecin et passent quelques jours sans traitement. Parfois, le risque d’une complication est réel.

Et tout ça pour économiser quelques euros.

On est bien avancé !

mercredi 1 août 2007

Faux et usage de faux

Je connais Mme S. depuis plus de quinze ans. Elle a maintenant plus de quatre-vingts ans, elle vit dans sa famille avec sa fille et son gendre. Elle a toujours été soumise et dépendante de son mari. Elle prend des antidépresseurs depuis… longtemps et elle a résisté à ma pression continuelle pour faire baisser sa dose de somnifères.

Son mari est décédé depuis quelques années dévoilant un caractère tyrannique. Sa fille ne sait plus quoi faire pour la contenter, la promenant à droite ou à gauche au gré de ses humeurs, la laissant téléphoner pendant des heures à "elle ne sait qui".

À part ça, elle est gourmande, donc trop grosse et donc diabétique.

Elle vient donc tous les mois pour renouveler ses drogues et me montre avec insistance son carnet d’auto-mesure des glycémies. Elle le remplit avec beaucoup d’application, mettant une croix quand elle n’a pas eu le temps de se percer le bout du doigt.

Seulement, voilà, les mesures sont fausses. Elle marque n’importe quoi : trop souvent 1,32 ou 1,24 ce qui m’a mis la puce à l’oreille. Les résultats du laboratoire ne sont pas du tout cohérent avec les siens. Elle fait le test, mais ne marque pas le résultat qu’elle peut lire sur l’appareil. Je lui en ai parlé plusieurs fois, mais elle fait celle qui ne comprend pas. Alors, je fais semblant de m’intéresser aux résultats sans en tenir compte.

Et ça dure depuis cinq ou six ans !

Vous y comprenez quelque chose ?

mardi 31 juillet 2007

Franchise hypocrite

La franchise : « 50 euros par an, 4 euros par mois, qui refuserait de payer ça pour éviter la Maladie d’Alzheimer, permettre des soins palliatifs efficaces et soigner le cancer » C’est globalement ce qu’a dit notre Président.

Or, il est connu que plus l’usager paye, plus le système coûte cher. Bizarre paradoxe ! Bien démontré par le système de santé américain qui coûte une fortune aux usagers (directement ou par le paiement d’assurances) ET à l’État américain (15,3 % du PNB).

Le client qui va acheter sa voiture en choisit d’abord le modèle, l’agencement intérieur, la couleur, l’autoradio et s’il lui reste de l’argent va prendre les options ABS et multiples airbags. Vous remarquerez que c’est ce qui manque sur les voitures "low cost". Il y a un autoradio, mais pas l’ABS, des belles peintures de toutes les couleurs, mais moins d’airbags.

Pour l’usager de santé, le problème est le même. Si vous payez, vous choisissez. Pourquoi vous payer une séance d’éducation à l’hygiène dentaire alors qu’avec la même somme d’argent vous pouvez avoir un blanchiment des dents ? Pourquoi faire une prise de sang pour dépister diabète et cholestérol alors que vous pouvez consulter une diététicienne pour perdre vos cinq kilos avant l’été. Je n’oublie pas les gens qui préfèrent se payer des clopes plutôt que le docteur ou sont obligés de choisir entre le spécialiste et les chaussures du petit dernier.

Et quelques années plus tard, "Dents Blanchies" va faire rembourser un dentier complet à son assurance et à la sécu et "5 kg" va être hospitalisée pour un infarctus.

Imaginez aussi le voyage d’un patient tuberculeux dans le métro, tous les jours, pendant des mois, qu’une simple consultation (qu’il ne peut ou ne veut pas payer) aurait suffi à dépister.

Est-ce une bonne idée de faire payer les gens ?

Franchement !

lundi 30 juillet 2007

Mythes

Certaines personnes bâtissent tout un mythe autour de leur maladie. Ils semblent en avoir besoin. Il y a le mythe de l’origine de la maladie, le mythe du traitement miracle, le mythe du traitement qu’il ne faut jamais prendre. Ce mythe leur permet de construire leur vision de la maladie, de mieux l’accepter peut-être en la rendant plus originale, extraordinaire ou plus aisément compréhensible. Pour le médecin, il est très difficile de démolir ce mythe, même quand il est nuisible au bon traitement.

Ce grand gaillard agriculteur au teint rougeaud vient me voir pour faire le « plein de magnésium ». Il présente depuis longtemps des attaques de panique qui sont des crises d’extrême angoisse avec sensation de mort imminente, parfois accompagnées de symptômes fort spectaculaires et angoissants… pour l’entourage. Depuis qu’il fait des « cures » de magnésium, les crises sont beaucoup plus rares et beaucoup moins intenses. Mais pour que ça fonctionne, il lui faut des injections intraveineuses. « Il n’y a que ça qui est efficace ! »

L’histoire médicale de Monsieur F. se rapproche du Larousse Médical. Les consultations sont régulières pour soulager son corps balafré et déformé par les blessures et les opérations. Pour lui, tout a commencé quand il avait 13 ans, après un accident de vélo qui l’a laissé dans le coma quelques jours. Dans sa carte mentale, même sa tuberculose, survenue trente ans plus tard, a pour origine cette chute malheureuse.

Ce patient a « les poumons fragiles ». Prisonnier pendant la deuxième guerre mondiale, il a été victime d’une pneumonie qui a bien failli le tuer. Les médecins lui ont dit qu’il resterait toujours fragile des bronches. Il a maintenant plus de 90 ans, n’a jamais fumé et se porte comme un charme. Mais à chaque fois qu’il tousse, c’est la panique. « Vous savez, Docteur, avec mes poumons fragiles ! »

dimanche 29 juillet 2007

30 062

C’est le nombre de médecins libéraux ayant participé à une formation conventionnelle. C’est-à-dire une formation médicale payée par la sécu et qui donne droit à une indemnisation pour perte de revenu de 15 fois le tarif de consultation par jour de formation.

Ce sont quasiment (en dehors de petites réunions locales ne concernant que quelques médecins, et des formations universitaires) les seules formations indépendantes de l’industrie pharmaceutique. 30 062, ce n’est même pas le tiers des médecins conventionnés, et en général ce sont les médecins qui participent aux autres formations. C’est ce que nous constatons depuis des années. Il y a à peu près 30 % des médecins qui se forment "correctement", une moitié se contente des formations publicitaires conviviales de l’industrie pharmaceutique, les derniers 20 % ne sont jamais vus nulle part.

Il faut dire qu’il n’est pas évident de demander à des gens qui travaillent plus de 50 ou 60 heures par semaine, d’aller, sur leur temps de repos, écouter la bonne parole qui remet en question leurs petites habitudes. Surtout qu’il est démontré depuis longtemps qu’avec notre système de paiement à l’acte, mieux vous êtes formés et moins vous gagnez d’argent.

Difficile à vendre !

vendredi 27 juillet 2007

Fin de vie

Geneviève a 83 ans, elle pèse 41 kg. Ce petit bout de femme sympathique et bavarde est hospitalisé depuis quelques jours dans le service. Elle semble contente de voir ce médecin qui vient lui parler et lui poser des questions dans le cadre de son stage.

Sa vie est facile à raconter : institutrice, femme d’un instituteur, elle n’a jamais eu d’enfants et sa vie a rebondi d’écoles en écoles dans l’ombre et la fumée de son mari qu’elle admire, mais qui « fumait trop ». Son grand plaisir est de gâter ses neveux et de les voir grandir.

La retraite arrive avec son sentiment d’inutilité jusqu’à la dépression, jusqu’aux tentatives de suicide.

Un infarctus du myocarde vient aggraver sa fragilité, le décès de son époux semble finir une vie dont elle n’a plus que faire.

Elle vit maintenant à Toulouse, dans un appartement dont elle ne sort quasiment jamais. Sa jeune sœur de 80 ans vient la voir tous les jours, parfois avec sa fille, une « femme de ménage » lui fait la cuisine (qu’elle n’a jamais aimé faire) et entretient l’appartement. Son neveu s’occupe de ses papiers. Une fois par mois, le médecin vient lui renouveler son traitement « pour le cœur » et ses antidépresseurs.

Parfois sa sœur arrive à la convaincre d « aller faire un tour », mais elle a peur d’aller en ville, elle, qui a vécu quasiment toute sa vie à la campagne.

Petit à petit elle a cessé de manger. Un jour, elle a eu un malaise et s’est fracturée la mâchoire. C’est pour ça qu’elle est dans cette chambre double.

D’après les médecins, elle n’est pas vraiment malade. Son bilan biologique est correct, elle ne présente même pas de signes de dénutrition et peut facilement accomplir les « actes de la vie courante ». L’examen clinique ne retrouve qu’un petit souffle de la carotide gauche et une absence de pouls périphériques qui signent sa maladie vasculaire.

L’évaluation psychologique n’a pas trouvé de signes de dépression. C’est vrai qu’il n’y a pas d’idées suicidaires, d’auto-dénigrement, ni d’angoisse ou de souffrance psychique. Mais il n’y a aucun désir, aucune motivation pour continuer. Elle n’a plus envie de rien, plus de projet de vie.

Elle est là, c’est tout !

jeudi 26 juillet 2007

Prévention

Une infirmière et une diététicienne de mon hôpital local se sont lancées avec beaucoup d’énergie et de savoir-faire dans des séances d’éducation aux diabétiques. Elles se sont formées, ont trouvé des financements et évaluent soigneusement leur travail. Les diabétiques de la région peuvent aller, gratuitement, profiter de conseils sur la prévention, la diététique et la gestion de leur maladie avec elles, mais aussi un diabétologue, des pharmaciens et un podologue.

Les patients ayant participé en sont ressortis ravis, le suivi est très positif au bout de quelques mois. Malheureusement, cette histoire risque de se terminer faute de… participants. Pourtant ce ne sont pas les diabétiques qui manquent. Seulement, pour qu’ils y viennent, il faudrait qu’ils en connaissent l’existence. Le médecin généraliste pourrait faire passer le message, mais il ne le fait pas ou peu et souvent les diabétiques n’y vont pas pour diverses raisons (problème d’horaires, de transport et surtout de "pas envie").

Quand on y réfléchit un peu, il n’est pas étonnant que l’affaire périclite. En effet, ce n’est pas le rôle de l’hôpital de faire de la prévention. Le lieu naturel serait la "ville". Imaginez que dans chaque cabinet médical, il y ait une infirmière formée à la prévention. Avant toute consultation médicale, il y aurait un entretien avec cette infirmière qui en profiterait à chaque fois pour faire passer les messages de prévention et d’éducation pour la santé. Le médecin, ensuite, n’aurait plus qu’à soigner.

Bien sûr ceci est totalement incompatible avec notre exercice libéral français. Il est pourtant facile de s’apercevoir que l’argent investi dans cette prévention serait largement remboursé par la diminution des traitements, de la maladie et de ses complications.

Mais ça profiterait à qui ?

mercredi 25 juillet 2007

Résurrection

C’était une force de la nature. Un mec solide et imposant, généreux et aimable. À plus de 70 ans il creusait sa piscine à la main.
Ce jour-là, en le voyant dans la salle d’attente, j’ai tout de suite vu que c’était sérieux. Il n’a jamais compris comment j’ai tout de suite pensé à un infarctus, alors qu’il venait me consulter pour des "vertiges". La tête qu’il avait !

Depuis ce jour, tout va de mal en pis ; insuffisance cardiaque, fracture du col du fémur, cancer de l’intestin, escarres, alitement. Il ne reste presque plus rien de l’homme que je connaissais. L’infection de son pied semble l’entraîner dans la tombe. Sa tension baisse inexorablement : 10, 9, 8, 7 comme un compte à rebours pour le grand départ. Tous les médicaments ont été arrêtés, sauf bien sûr ceux qui procurent un certain confort. Deux jours plus tard, j’en suis sûr en quittant son domicile, c’est la dernière fois que je le vois vivant.

Le téléphone est branché, près de mon lit, attendant le coup de fil qui m’annoncera une fois encore mon échec, la perte d’un patient, d’un client, d’un ami.

Et puis le lendemain, pas de nouvelle. J’y retourne l’après-midi et je retrouve toute la famille franchement gaie qui me dit que ça va mieux, bien mieux. Le moribond quant à lui, ne semble plus décidé à mourir, il reparle, il remange, il resourit. Il nous raconte ses délires des derniers jours, il nous dit qu’il a vu la Mort, une femme très laide qui lui a dit qu’elle viendrait le 11 août et qu’elle repasserait le 14 s’il n’était pas prêt.

- Je vous connais, lui dis-je, vous ne la suivrez que si elle ressemble à Paméla Anderson !

Faut bien rigoler un peu !

mardi 24 juillet 2007

Tensions avec le cardiologue

Mme M. vient me voir tous les mois (et parfois plus). A chaque fois, bien sûr, il faut prendre la tension. C'est le rituel. Des fois, je m'aperçois que je suis en train de pomper bêtement alors que je n'avais aucune intention de le faire. C'est automatique.

J'ai donc dans son dossier informatisé (mais non partagé) une cohorte de pressions artérielles prises avec soin, avec mon manomètre à mercure (indéréglable). Toutes ses "tensions" sont dans les limites de la normale.

La dame va voir son cardiologue (voyage en voiture, trois quart d'heure d'attente) qui lui prend la tension (bien sûr) et la trouve élevée (bien sûr). Et paf ! Il lui change le traitement. Ma lettre, dans laquelle il est indiqué les trois dernières mesures (normales) n'a aucune valeur. Mes dizaines de mesures ne pèsent rien contre la mesure spécialisée. La dame va avoir le dernier traitement à la mode. Elle est contente.

Pas moi !

lundi 23 juillet 2007

La fatigue

Il est parfois difficile de faire comprendre à mes proches la fatigue que je ressens parfois en fin de journée. Le métier de généraliste n'est pas particulièrement physique, mais c'est la tête qui travaille. Arrive un moment où le cerveau demande du repos. La moindre sollicitation devient insupportable, la plus petite exigence devient une montagne. Le bruit du téléphone devient une scie stridente, les cris des enfants qu'on examine une vrille à travers les tympans.

C'est à ce moment que nous sommes dangereux. Notre cerveau n'a plus envie de prendre en charge de nouveaux problèmes, donc nous les nions. “ Ce n'est rien ! Ça va passer ! ”. S'il s'agit d'un appel téléphonique, nous ferons tout pour ne pas y aller.

Une de mes collègues, qui avait fait les études avec moi et avait choisi ce métier, a arrêté il y a quelques années, laissant sa campagne pour un poste aux urgences hospitalières. Je l'ai revue il y a quelques mois.
- Alors, tu ne regrettes pas trop la médecine générale ?
- Oh ! Non, pas du tout. J'étais épuisée. Les urgences, c'est presque des vacances.

Des vacances !!

dimanche 22 juillet 2007

Vivement les vacances

Aujourd'hui, dernier jour de repos avant les vacances. Je suis de garde le week-end prochain, ce qui va faire douze jours sans interruption avant la quille. Je le redoute. Je commence à m'énerver facilement, à perdre ma patience et mon écoute, à ne plus supporter tous les petites frustrations de ce métier que j'adore, mais qui m'épuise. Je n'ai pas pris plus de trois jours d'affilée depuis le mois de février. J'ai du mal.

J'ai profité de ce dimanche pour faire une longue balade en moto, en solitaire. Au retour, il m'a fallu sulfater la vigne (les raisins ne vont pas nous faire mal cette année), puis piscine. Et la soirée du dimanche habituelle ; courriers divers, comptes et maintenant le blog.

Manquait plus que ça !