Tournesols

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lundi 16 mars 2009

Hortense, quand j'y pense

Hortense est morte cette semaine. Rien d'exceptionnel et même plutôt normal pour une femme de 96 ans avec une maladie d'Alzheimer assez évoluée.

La dernière fois que je l'ai vue, il est quatre heures du matin. Elle est assise sur son lit, en psalmodiant « Je m'étouffe, je m'étouffe ! ». Elle me voit, elle me sourit, et s'écrie : « Mais c'est le docteur V. ! Alors je suis sauvée ! » Même à quatre heures du matin, la tête dans le sac, ça fait du bien ! Quand je suis reparti, elle allait mieux, ce qui ne l'a pas empêchée de mourir quelques jours plus tard.

Depuis quelques années, la maladie faisait son chemin. Le départ à la maison de retraite a été retardé le plus longtemps possible, mais elle vivait seule et l'entourage était de plus en plus inquiet. Même le maire du village était venu m'en parler.

Elle me disait souvent : « Ah ! Je perds la tête. Je suis "déciboulée". » Et la sécu de joindre au dernier renouvèlement de son "100%" un guide « à l'intention du patient » pour lui expliquer sa maladie. Ça m'a bien fait rire. Il y a bien longtemps qu'elle ne sait plus trop où elle est. C'était d'autant plus touchant qu'elle me reconnaisse.

J'ai mis beaucoup de temps à apprécier cette femme. Elle n'avait pas sa langue dans sa poche et ce que je prenais pour de l'agressivité était en fait son mode de communication habituel. Du genre « Vous ne pouvez rien pour mes rhumatismes ! Vous servez à quoi alors ? »

Au bout de quelques années, je me suis pris au jeu et je lui répondais sur le même ton. Quand nous avions un témoin, elle en rajoutait, ce qui donnait des dialogues assez étonnants.

Un jour, elle se fait renverser sur un passage piéton par un fourgon ; juste un tout petit heurt sur la jambe qui lui a fait perdre l'équilibre. Le chauffeur, très gentil et très ennuyé, la ramène chez elle et appelle le docteur. A mon arrivée, je me suis rapidement aperçu qu'il y avait eu plus de peur que de mal, mais elle avait décidé de "chambrer" son écraseur.

- Quand on ne sait pas conduire on reste chez soi ! Vous auriez pu me tuer. Vous devriez faire attention, tout de même.
Je lui dis qu'elle n'a pas grand chose et qu'il a été bien gentil de la ramener.
- Ah bon ! Vous auriez préféré qu'il m'écrase ?
- Ah non ! Je tiens à mes clients, j'ai mes impôts à payer !
- Si vous leur parlez comme ça, vous allez avoir du mal à les garder.
Au chauffeur qui faisait mine de repartir :
- Et l'autre qui s'enfuit maintenant. On est pas aidé quand on est une petite vieille !
Elle se tourne vers moi :
- Et vous, vous voulez en plus que je vous paye alors que vous n'avez rien fait. Vous avez un beau métier ! Vous profitez du malheur du monde.
- Eh oui ! D'ailleurs, je vais demander à ce monsieur d'aller faire tomber deux ou trois autres petites vieilles pour arrondir ma fin de mois.
- Conduisant comme il conduit, ce ne sera pas trop difficile !

C'est à ce moment que le chauffeur a compris que c'était du théâtre et a recommencé à respirer.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est quand même un beau métier, ce boulot de médecin généraliste.
Ce qui manque le plus, ce n'est pas la prescription mais la proximité avec les gens dans leur vie de tous les jours et l'accompagnement qu'on peut faire: je recrée parfois ce lien mais avec beaucoup moins de cette chaleur qui existe en médecine générale.

Anonyme a dit…

Jolie histoire, merci de nous faire rire et sourire avec ces patients Alzheimer, y'en a besoin :-)