Tournesols

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dimanche 9 décembre 2007

L'œil rouge du malheur

J’ai connu Firmin Lestrampe quand il était pompier. C’est un petit homme discret qui ne parle pas beaucoup. Effacé, timide, ou peut-être n’ayant pas grand-chose à dire. Il a l’air d’approuver ce que vous dites, ce qui le rend sympathique. Depuis sa retraite, il fait du bénévolat à la Croix Rouge et chante dans une chorale. Quand il arrive ce jour-là dans mon cabinet, il a un œil rouge. Il n’a pas très mal, mais il n’y voit pas bien et je l'envoie rapidement chez un ophtalmologiste.

Quelques jours plus tard, le radiologue m’appelle. Quand il appelle, le radiologue, ce n’est jamais bon signe. C’est qu’il a trouvé un truc compliqué ou grave. Mais ce n’est jamais pour me dire que tout va bien.
- Je viens de voir M. Lestrampe pour une radio des poumons. Il y a un magnifique « lâcher de ballons ».
Le langage médical est souvent poétique et imagé. En dehors d’expressions absconses et plus ou moins latines, nous avons aussi une foultitude d'« urines porto », de « crépitants neigeux des bases », de « foie marronné ». Le « lâcher de ballons », ce n’est pas bon ! Le radiologue a vu dans les poumons des "taches" rondes dispersées dans tout le poumon… des métastases.

Quand M. Lestrampe revient me voir avec sa radio, je ne sais pas trop par quel bout le prendre. Il est là, l’air confiant, toujours avec son œil rouge, attendant que je lui dise que faire. L’ophtalmo lui a aussi fait faire une prise de sang en plus de la radio.

- Pour l’œil, ça va mieux ! Je dois aller revoir l'« oculiste » à la fin de la semaine.
- Non, je ne suis pas fatigué. J’ai fait mon tour du lac ce matin, comme d’habitude.
- Non, je ne crois pas avoir maigri. Tout va bien.

Le médecin, lui, ne se sent pas très bien. Dans les films américains, le docteur prend un air compatissant derrière sa blouse blanche et balance : « Vous êtes gravement malade. Vous en avez pour six mois. Au revoir Monsieur ! » Le docteur d’ici, il dit : « Il y a une image bizarre à la radio, il faut que je vous envoie faire un scanner. C’est peut-être grave. Il faut voir ».

Le scanner n’est pas bon non plus. Sa plèvre, l’enveloppe qui entoure ses poumons, est farcie de nodules. C’est à ce moment que j’apprends qu’il a travaillé avec de l’amiante pendant des années. Bon là, au moins c’est simple. Il n’y a aucun traitement. Comme dirait Germaine qui a des proverbes venus d’ailleurs : « Quand il y a du malheur, ne comptez pas sur le beurre ! »

Et M. Lestrampe qui n’a toujours pas l’air de réaliser qu’il est malade, qu’il est mourant.

J’ai une discussion surréaliste avec sa femme que je ne connais pas et qui me téléphone pour me demander, si ça va durer longtemps tous ces allers-retours, qu’il n’y a personne pour le conduire, alors il prend un taxi et ça coûte cher et que son œil, il ne va pas mieux. Impossible d’en placer une.

Quelques jours plus tard, le pneumologue m’appelle (c’est pas bon signe non plus) pour me dire qu’il est allé voir la plèvre, qu’il y a des nodules partout et qu’il a fait un prélèvement pour connaître la nature du mal. En attendant les résultats, je revois M. Lestrampe qui a l’air vaguement inquiet et fataliste, mais sans plus. J’ai demandé le « cent pour cent » à la Sécu en urgence pour qu’il puisse se faire rembourser les taxis. Le médecin-conseil lui a accordé sans problème quand il a eu le résultat des radios et du scanner. Il est content. En discutant, j’apprends qu’il a deux enfants, mais « qu’ils ne se parlent plus ».

C’est dingue, je m’aperçois que je ne connaissais rien de sa vie. En dehors du chant et des pompiers, il ne m’avait jamais parlé de rien. Il me regarde, avec son œil rouge, et ne semble pas concerné par ce qui lui arrive. Pas curieux.
Je croyais le connaître. Ce que je prenais pour une écoute attentive et approbative n’était que passivité et indifférence. En fait, il ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe et il se laisse porter par la vie. Il ne me laisse toujours aucun moyen de lui faire passer le message qu’il a certainement quelque chose de grave. Alors, j’attends !

Quelle surprise en lisant les résultats des prélèvements ! Ce sont des lésions bénignes ! Ce n’est pas un cancer. Ça avait l’aspect du cancer, le goût du cancer, mais ce n’étaient rien que des nodules fibreux. J’avais envie de sauter de joie, de chanter.

M. Lestrampe a pris l’annonce avec détachement. « Ce qui doit arriver, doit arriver ! »

Son œil est resté rouge quelques semaines encore et tout est rentré dans l’ordre.

5 commentaires:

La Fourmi voyage a dit…

Ouf... de quoi faire mentir l'adage
"le pire est toujours sûr"!
mais pour la néophyte que je suis, comment un oeil rouge peut faire penser à passer une radio des poumons?
http://fourmipat.over-blog.com/

Philippe Roux a dit…

Un œil rouge peut être le signe d'une maladie générale. Mais c'est très rare.

Anonyme a dit…

ouff ! quelle histoire, je n'aurais pas du tout aimer la vivre !
Cathy http://pso-and-co.over-blog.com

Anonyme a dit…

alors pourquoi la mort,la maladie te fait elelsi peur à toi ,médecin,détenteur du savoir dans l'esprit populaire?
Pourquoi ne pas simplement dire au patient" à la vue d e vos examens je pense à cela ou ..rien.Je souhaite avoir la certitude de ce qui est."
ainsi le médecin a la possibilité d'annoncer et de laiser le patient demander précisions ou non, mais le renvoie aussi à SA responsabilité de citoyen detenteur de SA santé,sans qu'il ne se décharge sur la blouse-blanche.
Je trouve tres hypocrite ce pseudo-langage mi-vrai,mi-protecteur.Oui mais pour qui?
C'est de la manipulation ni plus ni moins car cela permet au médecin de se retrancher derrière le "mais je vous ai precrit les examens nécessaire" et empeche le patient de se poser les bonnes questions.Certes il est impossible de jeter à la figure uen vérité inaudible ,incompréhensible pour le patient,mais le médecin,comme tout soignant a le DEVOIR de vérité enverrs son patient.

Anonyme a dit…

Etrange et déroutant de voir quelqu'un échapper à une catastrophe, sans même s'en rendre compte.