Tournesols

Tournesols

vendredi 2 novembre 2007

Trancher dans le vif

Il y a des jours comme ça. Des jours où il semble que chaque décision que vous prenez pèse une tonne, que vous passez votre temps à balancer entre le pire et le terrible. Vous finissez la journée épuisé, et vous n’avez "rien" fait. Seulement trois petites visites, trois petits actes insignifiants dans la marée des actes médicaux journaliers.

Monsieur Juan est espagnol. Une "attaque" n’a pas arrangé sa compréhension et sa prononciation du français. Je ne le connais pas depuis longtemps et vu le problème de communication avec son aphasie compliquée d’accent ibérique, ça ne va pas s’arranger. Il est paralysé dans son lit, hémiplégique. Il a des escarres qui "flambent" en ce moment. C’est sa "bonne" jambe qui lui fait mal. Le pied est bleuté, un peu froid… Ça sent mauvais, au propre, comme au figuré. Le spécialiste qui a examiné le monsieur m’appelle : « Si son état général le permet, il faudrait lui faire une artériographie, puis si le réseau des artères est assez bon, une angioplastie ou un pontage. »
La fille ne comprend pas grand-chose. Elle demande s’il est possible qu’il soit opéré dans notre hôpital local (il n’y a même pas une radio). La mère demande simplement qu’il mange bien, mais pas trop, à cause du diabète. Le monsieur, lui, ne comprend pas ce qui se passe ; ce n’est pas un bon jour.
Si nous laissons faire, le pied va pourrir peu à peu, l’intervention ne servira peut-être à rien, vu que son état général n’est pas bon. Mais son état général n’est peut-être pas bon à cause du pied qui se nécrose. J’essaye d’expliquer tout ça au téléphone à la fille, puis à la mère. La décision, c’est pour lundi.

Monsieur Marcel a lui aussi un pied en piteux état. Lui, c’est un microbe qui est entré par une plaie et qui s’est niché dans l’os tel le renard dans son terrier. Les antibiotiques en perfusion l’empêchent de sortir, mais dès que le traitement est interrompu, l’infection reprend de plus belle. La solution "raisonnable" est de couper le pied… Nous le savons, lui et moi, mais bon, c’est dur !
Alors nous continuons les perfusions. Quand il n’aura plus de veines pour planter les aiguilles, j’essaierai autre chose. Et quand il n’y aura plus "autre chose"…

Mme Rina a 98 ans. Elle est sourde, vraiment sourde, mais a "toute sa tête". Mince, active et malicieuse, elle me regarde toujours avec des yeux admiratifs et confiants. Elle revient de chez le néphrologue pour ses reins qui ne fonctionnent plus. Il propose une hémodialyse. Voici la recette : tout d’abord prendre un bras, bien disséquer l’artère et la brancher sur une veine. Laisser mijoter deux mois, puis amener la dame à l’hôpital, lui brancher "la dialyse" pendant quatre heures et la ramener chez elle, trois fois par semaine. Épuisant !

L’autre solution : laisser la dame chez elle. Les taux de potassium et d’urée vont monter peu à peu et elle va mourir.
La famille était là, nous avons choisi. Elle restera chez elle, comme elle le veut.

Et un jour elle fermera ses yeux trop confiants.

3 commentaires:

ekrain a dit…

J'ai découvert comment ça marche. Désolée, j'ai envoyé un courrier à la place d'un commentaire, avec mon, comment ça s'dit, mulot.
Continuez à os-sculpter dans la chair humaine, ciselez et poncez ces oeuvres de vie.
ekrain

Anonyme a dit…

C'est la période de la Toussaint qui vous rend morose comme ça ? y'a bien des fois où ce sont des happy end non? Allez doc, regardez le verre à moitié plein et non à moitié vide

Philippe Roux a dit…

La Mort fait partie de mon métier. J'ai calculé que je verrai mourir 70% de ma clientèle durant ma carrière… Si je ne suis pas mort avant !! ;-)